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Héloïse à Paris

8 octobre 2008

Petite Nouvelle du matin

En remontant la cinquième avenue vers Central Park, elle pensa que cela faisait déjà cinq ans qu’elle vivait à New York. Toutes ces années étaient passées si vite. Elle connaissait si bien cette ville aujourd’hui alors qu’en arrivant tout lui paraissait immense et inconnu.

En avançant dans les allées de Central Park, elle énuméra tout ce qu’elle avait entrepris depuis son arrivée. D’abord ce travail qu’elle avait décroché un peu grâce à son accent français très prononcé. Ensuite tous ceux qu’elle avait rencontrés petit à petit. Des français, des américains, des espagnols. Un melting pot de connaissances. Certains étaient devenus des amis précieux. Ils avaient su lui apprendre la vie new-yorkaise, l’écouter, la faire rire. Enfin il y a deux ans, elle avait rencontré Paul. Déjà deux ans que son sourire l’avait charmée, dès le premier regard. Rapidement ils avaient emménagé ensemble dans ce petit appartement près de Central Park.

C’est lui qu’elle allait retrouver et cette pensée fit apparaître sur son visage un petit sourire. Elle hâta d’un coup le pas comme pour se rapprocher plus vite de lui. Ce soir ils célébraient justement l’anniversaire de leur rencontre, de leur premier baiser.  Elle regarda sur son portable le message que Paul lui avait envoyé ce matin « Rendez-vous 20h à la maison. Je m’occupe de tout. Je t’aime.  Elle sourit de nouveau en passant la porte de l’immeuble et salua le portier comme dans un rêve. Escalier ou ascenseur, chaque jour c’était le même dilemme. Aujourd’hui, elle opta pour l’ascenseur qui la mènerait plus vite près de Paul.

En poussant la clé dans la serrure, elle réalisa la chance qu’elle avait eue de le rencontrer. Cet appartement ils l’avaient choisi ensemble et il leur ressemblait. En rentrant, elle entendit la voix d’Edith Piaf dans la cuisine. Paul l’Américain aimait écouter cette vieille musique française alors qu’elle ne jurait plus que par la musique anglo-saxonne. Il devait être en train de préparer le dîner. Comme elle était un peu en avance,  elle hésita à aller le rejoindre mais, ne pouvant réfréner son envie de le voir, elle se dirigea vers la cuisine, choisissant de l’observer discrètement. Elle eut envie de rire en l’entendant chanter derrière la porte « allez venez Milord » ! Elle tourna discrètement la poignée et soudain lorsque la porte fut à peine entrebâillée,  elle se figea d’un coup. Sa main s’immobilisa, son cœur s’arrêta net. Paul était de dos, occupé à tourner avec une cuillère en bois quelque chose qui cuisait dans une grande cocotte. Elle reconnut d’un coup l’odeur qui s’échappait de cette marmite et qui pénétra d’un coup ses narines. Cette odeur, elle avait essayé de l’oublier ainsi que tant d’autres choses depuis des années, depuis 5 ans. C’était l’odeur si particulière du pot-au-feu de sa mère qui était en train d’inonder ses narines et son cerveau.

Son cœur après s’être soudainement arrêté, se compressa puis s’emballa comme un tambour qu’on ne maîtrise plus. Un frisson parcourut son dos de ses reins jusqu’à sa nuque. Le coup se planta entre les 2 omoplates, la faisant vaciller.

Le dos de Paul, d’habitude si rassurant, semblait appartenir à un étranger. Il devint de plus en plus flou et tout ce qu’elle croyait avoir oublié remonta à sa mémoire comme si c’était hier. Cette odeur la transporta cinq ans plus tôt dans la cuisine de ses parents, à Paris.

En rentrant chez elle ce jour-là, elle trouve sa famille réunie dans la cuisine, les yeux baissés. L’atmosphère est lourde, comme chargée d’un orage prêt à éclater. Le silence pesant est brisé par une fenêtre qui claque, faisant sursauter tout le monde. Tout le monde semble savoir quelque chose, tout le monde sauf elle dont le cœur cogne fort dans la poitrine.

Le décor est semblable aux jours heureux. Odeur de cuisine, bonne odeur du pot-au-feu maternel. Devant elle, ses parents, son frère, ses sœurs, ses piliers, sa force. Mais ce soir, le pilier semble se fissurer prêt à s’écrouler.  Elle veut parler mais aucun son ne sort de sa bouche. Elle détourne le regard mais pas suffisamment vite et ses yeux se posent un court instant sur une larme qui coule sur la joue de sa sœur. Ses mains sont moites, ses jambes vacillent, sa colonne ne la soutient plus. Elle attend l’annonce, elle attend que l’épée froide se pose sur sa nuque chaude, rougit par l’émotion. Quelle peut-être cette nouvelle ? Elle sent les regards posés sur elle et la peur ronge son ventre petit à petit.

Sensation que plus rien ne sera jamais comme avant. Tout semble basculer si vite, si rapidement. Elle a mal, le souffle court. Ils sont tous là, de qui s’agit-il ? A part eux rien ne compte.
Boum dans son cœur, elle n’ose plus bouger. Douleur physique avant le mal de l’âme. Elle a mal.

Son regard flou se pose lentement sur eux. Ses yeux se dirigent vers ses parents, murs porteurs de cette famille. Un sourire apaisant au coin des lèvres de son père. Et si ce n’était rien ? Et si elle s’était trompée ? Mais alors pourquoi ce silence si lourd ? Sa mère, ce petit bout de femme si forte, ce petit roseau qui plie mais ne rompt point, sa mère continue de tourner le pot-au-feu.

Elle les regarde avec inquiétude et interrogation pour être rassurée. Elle veut parler mais un goût âcre et amer dans sa bouche l’en empêche.  Elle sent que son père est sur le point de parler, son cœur se remet à tambouriner au moment où une main se posa sur son épaule. La phrase claque enfin dans ses oreilles, la sentence tombe dans la bouche rassurante de son père. Elle écoute mais n’entend plus. Elle ne comprend pas ces mots qui tombent dans un langage inconnu « maman, tumeur, cerveau, quelques mois. Puis plus rien, le vide, tout a basculé.

Les mois qui suivent passent comme dans un mauvais rêve.

Elle les avait chassés de sa mémoire, ne se souvenant plus que de cette décision prise devant la sépulture « Fuir…loin…Oublier…ne jamais revenir.

Paul se tenait maintenant devant elle. Il la regardait avec inquiétude mais déjà elle ne le voyait plus. Il était devenu comme un étranger. Une sensation de vide absolu l’envahit. Le manque de ceux qu’elle avait laissés se fit sentir de plus en plus fort au fur et à mesure que les secondes s’écoulaient.
Elle entendit au loin la voix de Paul qui, dans un anglais qu’elle ne comprenait plus, tentait de la rassurer. Mais déjà elle ne l’écoutait plus et ne voyait plus que son père, ses sœurs, et son petit frère qu’elle avait quitté alors qu’il n’était âgé que de quinze ans. Des larmes roulaient à présent sur ses joues comme pour compenser toutes celles contenues depuis 5 ans.

Avec précipitation, elle se retourna, courut vers la chambre, jeta quelques affaires dans un sac, promit à Paul de revenir et elle fila à l’aéroport.

Le lendemain son père la serra fort dans ses bras tandis qu’entre ses larmes elle répétait le mot « pardon.

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Héloïse à Paris
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